Près de 50 ans après la mort de l’unique prix Nobel de littérature yougoslave, l’héritage de ce géant des lettres divise toujours, victime des polémiques identitaires.
Affaire à suivre. Des nouvelles du secteur culturel en régions et à l’international grâce à nos correspondants à l’étranger et à celles et ceux qui créent la vie culturelle à l’endroit où ils sont.
Au micro d’Arnaud Laporte, Louis Seiller, correspondant de France Culture, nous emmène dans l’ancienne capitale ottomane de la Bosnie, la ville de Travnik. Ici, de nombreux bâtiments portent encore les traces de la guerre de Bosnie. Mais il y a un lieu qui a été parfaitement restauré, avec son toit pyramidal en pierres grises et ses fenêtres en bois, la maison de naissance de l’unique prix Nobel de littérature yougoslave (en 1961 pour Le Pont sur la Drina), Ivo Andrić, aujourd’hui transformée en musée.
Les romans d’Ivo Andrić ont fait le tour du monde et ils ont été traduits dans plus d’une quarantaine de langues. Déjà de son vivant, Andrić était considéré comme un classique de la littérature, et pour beaucoup sa prose reste une source d’inspiration inégalée :
Andrić signifie beaucoup pour nous. Même à notre époque, ses œuvres nous guident par rapport à notre façon de vivre et dans notre mode de vie. Elles nous montrent comment survivre dans ce monde qui est le nôtre. Stepjan, visiteur du musée, Croate de Bosnie.
Si son œuvre est officiellement célébrée par les différents États de la région, la guerre et les nettoyages ethniques des années 90 sont passés par là. La Yougoslavie multiculturelle qu’Andrić a défendue toute sa vie n’existe plus, et la biographie du grand écrivain ne fait plus vraiment l’unanimité. Né en Bosnie dans une famille catholique, Andrić a acquis la nationalité serbe après la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, les nationalistes croates le considèrent comme un traître. Leurs homologue serbes au contraire s’approprient son héritage, et du côté des Bosniaques, certains l’accusent d’avoir diabolisé les musulmans dans ses œuvres romanesques.
Évidemment, ici, la question est très actuelle. En fait depuis 25 ans, et même un peu plus, Ivo Andric est en quelque sorte la victime des divisions et des conflits nationalistes en Bosnie-Herzégovine et dans l’ex-Yougoslavie. Aujourd’hui, les gens qui critiquent Andrić le font depuis leur propre position ethnique, et selon leur propre compréhension de l’identité ethnique et religieuse. Mais en réalité, la principale identité d’Ivo Andrić est celle d’écrivain de la Bosnie-Herzégovine, celle d’un artiste sans qui ce pays ne peut pas être compris. Et le lecteur doit toujours être conscient qu’il lit une œuvre d’art et de littérature, pas un manuel d’histoire. Enes Skrgo, comédien et conservateur du Musée
Au delà des polémiques contemporaines, Ivo Andrić reste le conteur hors pair de cette Europe des Balkans, riche de sa diversité et de ses multiples influences, que les éditions des Syrtes mettront le mois prochain à l’honneur en publiant un recueil de nouvelles inédites, La Chronique de Belgrade.